En tête-à-tête avec Alexandre Blaise

Alexandre Blaise est le Chef du département des Sports à la Sorbonne Université Abu Dhabi depuis bientôt 11 ans et le directeur du programme executif en management du sport CIES-FIFA, dispensé à SUAD. Il nous a fait le plaisir d’échanger avec nous autour du sport aux Emirats Arabes Unis. Dans ce jeu de questions-réponses, nous abordons la diversité croissante de l’offre sportive aux Emirats, la politique diplomatique des Emirats autour des compétitions sportives, mais également le sport universitaire et le rôle de la Sorbonne dans son développement.

Alexandre Blaise, en tant que chef du département des sports de SUAD, pouvez-vous nous livrer votre analyse sur la place du sport aux Émirats ? Pensez-vous qu’il y a une volonté de mettre en œuvre une diplomatie du sport dans ce pays ?

A.B: Aux Émirats, deux acteurs majeurs de l’industrie du sport, Abu Dhabi et Dubaï, se dégagent et semblent se livrer une compétition acharnée, du moins officiellement. Nous pouvons identifier une politique commune du rayonnement autour du sport avec des événements internationaux de plus ou moins grande importance, et ceux à destination des résidents (émiriens et expats), mais aussi des touristes.

La politique sportive du « sport pour tous » peut sembler plus lisible à Dubaï qu’elle ne l’est à Abu Dhabi, mais il n’en n’est rien. Pour exemple Reem Island Abu Dhabi avec un skate parc, des pistes cyclables, des terrains de football, des activités nautiques et bientôt des pistes de luge sur neige. Oui, les EAU ont des objectifs et une véritable politique sportive.

Tout d’abord les EAU se veulent attractifs pour le confort de vie, pour la sécurité et pour son bien-être / bien-vivre au quotidien. Si nous orientons cela autour du sport, ils doivent relever des défis comme :

• Ceux liés à la météo, à la saisonnalité de certaines activités, à la création de nouveaux espaces de pratique (couvert / découvert) en accès libre gratuit, en accès règlementé payant, au sein du plan d’urbanisation déjà planifié.
• Ceux liés aux évolutions sociétales. Par exemple, les « colors Run », les parcours fitness à thèmes, les trails, les rassemblements sportifs autour de journées spéciales : Journée mondiale du Yoga, Journée de la femme etc. Les EAU doivent en permanence identifier et répondre aux besoins et attentes des résidents qui n’ont de cesse que de comparer ce que les autres pays offrent (comme à Singapour qui est souvent cité comme exemple et leader mondial
• Celui d’attirer le tourisme sportif avec des activités récréatives ou procurant des émotions fortes (comme par exemple le saut en parachute au-dessus de Dubaï, le plus grand mur d’escalade au monde, la piste de ski en plein désert, la plus grande tyrolienne au monde, les parcs aquatiques etc.). Ce tourisme de « parc d’attraction sportif », comme certains le nomment, est assumé, mais doit faire l’objet de toutes les attentions à l’heure de la sensibilisation mondiale à l’écologie. Certaines attractions pourraient-être boudées par le public à l’avenir à cause de leur impact écologique, et le modèle de ‘sport business’ qui en découle pourrait devenir obsolète.

L’industrie du sport est en constante évolution, tout comme les nouvelles pratiques sportives qui imposent aux autorités anticipation et vigilance pour accompagner et contrôler les phénomènes de mode (comme pour l’utilisation des trottinettes électriques à Dubaï qui nécessite un permis depuis peu, ou le développement massif d’infrastructures pour le Padel qui est un sport de raquette).

Il n’y a presque aucune barrière à la pratique du sport aux EAU, même les défis technologiques ne lui résistent pas. Cette jeune nation est en pleine construction de son identité sportive. Elle doit faire face à des défis de santé propres aux sociétés du XXI siècle : le diabète, l’obésité, la sédentarité, et doit continuer à mettre en place une politique éducative autour de la pratique sportive dans les clubs et à l’école. Elle doit mailler son territoire de pratiques sportives diverses et de rencontres sportives dès le plus jeune âge. Puis étapes par étapes, progresser vers le sommet de l’élite sportive afin de faire accéder ses sportifs locaux aux grandes compétitions internationales – Championnat du monde ou JO par exemple.

En réponse à votre seconde question, je prendrai comme exemple l’accord bilatéral qui a été signé, en décembre 2020, entre les fédérations de Football d’Israël et des Émirats. Cet accord historique d’importance aura permis de préparer l’opinion, les partenaires locaux et régionaux, aux futurs accords politiques qui suivront entre les deux pays quelques mois plus tard et dont le monde s’est fait écho.

Le sport est bien un outil diplomatique pour les pays émergents. Il est utilisé comme outil permettant d’exposer sa puissance, sa grandeur, ses compétences, mais aussi d’accompagner et de renforcer des choix politiques stratégiques.

Les compétitions sportives internationales sont-elles l’occasion pour les EAU et particulièrement pour Abu Dhabi de se distinguer des autres pays du Golfe. 

A.B: C’est en effet l’idée, mais la compétition est rude entre les voisins du Golfe.

Pour preuve avec la F1 : la région du Golfe ne comptait pas moins de 4 grands prix en 2021, et 3 pour le championnat 2022 sur 23 courses que dure ce dernier. Malgré cette concurrence, Abu Dhabi et les EAU ont une expérience de plus de 12 années face aux autres régions du Golfe. Les montants colossaux investis pour la qualité des infrastructures et le professionnalisme des équipes font de ce Grand-Prix l’un des mieux noté au monde et il sert aujourd’hui d’exemple dans les formations, et ses équipes délivrent des conseils auprès d’autres pays.

L’utilisation du sport comme outil géopolitique est un pari réussi et qui fonctionne. Abu Dhabi et Dubaï rayonnent aussi avec d’autres évènements internationaux plus petits (ADNOC Marathon, HSBC Golf, Rugby 7, tennis …) qui s’appuient sur des choix stratégiques en relation avec la culture, le tourisme et l’industrie du sport.

Les investissements des EAU, parfois pharaoniques, semblent avoir fait l’objet de réflexions en vue d’un retour sur investissement plus efficace.

La stratégie de communication autour des événements sportifs internationaux des EAU est peut-être plus discrète que celle de ses voisins proches (comme le Qatar avec le PSG, l’Arabie Saoudite avec le Paris Dakar) mais les EAU n’en sont pas moins présents et efficaces (sponsoring : d’équipes de Football en Europe avec Emirates, d’une équipe internationale de cyclisme présente au tour de France, et de Manchester City avec Etihad et Abu Dhabi…).

L’avenir nous dira laquelle de ces deux méthodes de communication profitera aux regards des investissements engagés par les uns et les autres.

Y a-t-il une culture du sport universitaire aux EAU et si oui comment la Sorbonne se situe-t-elle dans ce type d’événement ? Dans le cas contraire, pensez-vous qu’il faille changer les mentalités ? 

A.B: Dans toutes les universités du monde il y a une culture identitaire du sport, c’est un besoin intrinsèque pour les étudiants, et les Émirats n’y dérogent pas, mais c’est encore un chantier en construction. Il y a onze ans lors de mon arrivée dans le projet SUAD, il n’y avait que quelques rencontres amicales entre 4 – 5 universités et un championnat universitaire national qui montrait des disfonctionnements dans sa mise en œuvre.

Avec nos collègues de New York University Abu Dhabi, Zayed University, et Masdar, nous avons créé la première ligue universitaire d’Abu Dhabi : nous sommes une quinzaine d’entités universitaires à ce jour uniquement sur l’émirat d’Abu Dhabi. Complètement autonome, cette ligue « ADISL » a rapidement attiré l’attention des autorités sportives d’Abu Dhabi.

ADSC (Abu Dhabi Sports Council) assume aujourd’hui la charge financière pour l‘arbitrage des matchs (plus de 300 matchs par an pour les différents sports du championnat). Les résultats et classements sont ensuite envoyés à la HSEF (Higher Education Sport Federation) qui organise les phases finales du championnat national pour les 7 émirats. Cette organisation a le mérite d’exister, mais elle doit encore s’étoffer par une implication plus forte des autorités et une harmonisation entre les 7 Emirats.

Les universités ont impulsé la première étape au travers d’ADISL qui est un « hub » ; reste aux autorités de développer des bourses nationales et internationales pour élever le niveau du championnat universitaire et offrir aux fédérations sportives un vivier d’athlètes pour les différentes équipes locales et nationales du pays.

Sorbonne Abu Dhabi, dans ses relations et discussions avec les différentes instances sportives des Émirats, ne cesse de militer pour le développement du sport universitaire au travers de la mise en place de bourses ‘sports-études’ (un peu comme sur le modèle américain) et pour l’encadrement et l’accompagnement universitaire des sportifs de haut niveau (comme en Europe).

Après deux années à l’arrêt total (en raison du covid) le prochain championnat universitaire va faire face à un nouveau défi : la semaine de 4 jours et demi. Les matches se déroulant initialement l’une des 5 soirées qui composaient la semaine, cela sera beaucoup plus difficile l’an prochain. Pour ne pas pénaliser les entrainements et autres pratiques sportives, des rencontres en journée ou le week-end pourraient être une solution…A suivre.

Votre département a de nombreux partenariats avec des institutions locales et internationales (ex : FIFA), quel est selon vous l’apport de ces liens pour le monde académique ?

A.B: Le département des sports est un département académique, au-delà de sa spécificité -la pratique sportive-, il s’inscrit dans une véritable démarche de formation universitaire diplômante (avec la création de diplômes et la volonté de développer un véritable pôle de recherche pour l’industrie du sport, en collaboration avec les autres départements).

Les relations avec les institutions locales et internationales sont importantes, voire primordiales : elles permettent d’écouter les besoins, les attentes du public. Ainsi, lorsque nous collaborons avec la branche universitaire de la FIFA -le CIES (centre international de l’enseignement du Sport) – et l’UAEFA, nous devenons des acteurs de la formation des futurs manageurs de l’industrie du sport local et mondial. Ce partenariat ouvre aux étudiants, aux enseignants et partenaires, l’accès à un réseau universitaire international de 19 universités. Nous apportons des analyses, des propositions, parfois des réponses (avec les mémoires de recherche des étudiants) aux enjeux sportifs des EAU, et nous organisons des cours et conférences, grâce à notre réseau international d’experts. En collaborant avec les instances locales (Ministère des Sports, Comité Olympique, Fédérations et Clubs) nous partageons notre expérience.

Tout comme les autres départements universitaires, les partenariats spécifiques sont primordiaux. Ils permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives de formation, de recherche, de développement du réseau, tout en renforçant la force et la crédibilité des partenaires à l’international. Par exemple, Sorbonne Abu Dhabi pourrait devenir un Hub universitaire national pour l’escalade ‘indoor’ pour l’accueil des athlètes nationaux en assurant leur accompagnement, la mise en place et la création de la fédération, l’organisation d’événements locaux et internationaux, la mise en place de formations académiques sportives spécifiques.

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